Sa naissance a annoncé un nouveau monde. Du moins pour ses parents. Un monde plein de déjections, de cris, et d’instants de bonheur inoubliables. Il aurait bien aimé se souvenir de ces moments, mais être un enfant est loin maintenant.
Ce dont lui il se rappelle, ce ne sont que de petites choses. Comme la première boule de terre qu’il a modelée entre ses petites mains dodues (à l’époque).
En un instant, sous le sourire plein de moustache de son père, il avait transformé une boule de poussière mouillée en une sphère pleine de vie, qui lui a permis de créer le ventre de quelque chose de vivant, avec des pattes dont deux bras naissants, qui s’est ensuite étendue en un petit être de terre brune. Un truc imparfait. Avec deux poils bizarrement placés sous un nez tordu. Comme son père.
Sous le rire de sa mère, son père avait raillé la perfection du bonhomme. Ses formes enfantines. Pour apprendre à son fils que le monde n’est pas comme on le trace et le dessine, mais comme on le voit, et encore mieux, comme il fonctionne tout seul même si personne n’est là. Une belle fleur est une fleur qui pousse. Sa mère avait rougi.
D’une fureur enfantine, il avait écrasé ce petit homme, cet animal, cette boule pateuse. Elle s’était écrasée sous son propre mépris et sous les cris étonnés de ses parents. Elle s’était mélangée au sel de ses larmes. Elle s’était mélangée à encore un peu plus de terre.
De cette boule, maintenant un peu plus grosse, une nouvelle forme était née.
Plus simple.
Plus ronde.
Née de ses rêves plutôt que du monde autour. Comme pour dire que son père avait tort.
Cette petite chose sans forme a été posée près de l’âtre familial pendant des années. Elle a séché, cuit comme le pain qui sent bon et qui fait courir fort. Elle s’est patinée, comme les meubles sans age et les statuts de sages.
Elle a été suivie de tellement d’autre petites boules. Oubliées depuis.
De petits lutins tordus , pleins de grimaces incontrôlées, puis farceurs au sourire mutin.
De copies imparfaites de visages de petites filles, plus âgées et mures qu’il ne l’était pourtant.
Des copie approchantes de silhouettes de jeunes femmes.
De portraits bien trop justes d’êtres ayant vécus.
Il a rencontré son ennemi, un jour. Il n’aurait jamais cru en avoir un. Il n’aurait pas cru que ce jour soit si tôt.
L’Autre avait un visage qui change.
L’Autre était un peu de lui quand il a cassé sa première création.
L’Autre lui a volé sa grand-mère, en lui mangeant des trucs dans le ventre.
L’Autre détruisait chaque année la beauté de l’automne.
L’Autre écrasait de sa main poussiéreuse chacune des jolies choses qu’il admirait tellement.
Et la plupart des ses propres choses à lui.
L’Autre altérait toujours plus le regard verts de celles qu’il aimait.
L’Autre déposait toujours plus de fiel et de caillou sur un bout de viande bien trop rose (celui qui faisait affluer son sang dans l’ensemble de son corps).
Mais voilà.
l’Autre et lui ne s’aimaient pas. Et c’était réciproque.
Chaque jour, il fit de petites boules de glaises. Qu’il transforma en palais plein de livres, en marmots trop bruyants, et en amis émerveillés. L’Autre continuait forcément et inlassablement son action destructrice. C’est normal d’être inlassable quand on n’existe pas vraiment mais qu’on « vit » en tout.
Mais lui, chaque jour, il laissait sa petite marque : des gribouillis sur les fenêtres des maisons, des petits bouts de peau de ses doigts dans les creux de ses sculptures, des morceaux encore plus grands de sa pensée et de ses idées et de ses sensations, il laissait tout ça sur des ces petites sculptures marrons.
Il faisait des choses. Pour que l’Autre ait plus à défaire.
Il faisait des choses que tout le monde pourrait voir un jour. Pour que l’Autre ne puisse pas cacher son œuvre de destruction.
Il faisait des choses.
Il faisait.